À l'occasion de la Journée mondiale des réfugiés des Nations Unies, Portes Ouvertes, ONG de soutien aux chrétiens persécutés, met en lumière la situation dramatique des nombreux chrétiens déplacés, sachant que les chrétiens représentent 8% de la population du Myanmar. Depuis le coup d'État militaire il y a quatre ans, des centaines d'églises ont été détruites de manière ciblée et des responsables d’église ont été arrêtés ou tués. Des millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays vivent dans des camps de fortune où les chrétiens continuent d'être systématiquement discriminés.
Le Myanmar est pris dans un conflit de plus en plus violent depuis cinq ans. Depuis le coup d'État militaire de février 2021, les combats se poursuivent dans de nombreuses régions du pays et se sont même intensifiés. Plus de chrétiens que jamais ont été déplacés et vivent dans des camps pour personnes déplacées à l'intérieur du pays, cherchent refuge dans des églises ou fuient même dans la jungle, où ils n'ont souvent pas accès à la nourriture ou aux soins médicaux. Depuis le début de la guerre civile, on estime que 2,8 millions de citoyens du Myanmar sont devenus des personnes déplacées à l'intérieur du pays.
Les camps de personnes déplacées sont désespérément surpeuplés et les conditions de vie y sont misérables. Les chrétiens sont particulièrement touchés, de nombreuses églises qui offraient un refuge ont été incendiées ou détruites par la junte militaire. «La destruction des églises chrétiennes est délibérée, afin de causer des dommages psychologiques à une communauté religieuse et culturelle spécifique. Il ne s'agit pas dans ce cas de dommages collatéraux», explique Salai Za uk Ling, un militant des droits humains de la communauté Chin.
Le contexte
Le conflit remonte à 1948, après que le Myanmar a obtenu son indépendance de l'ancienne puissance coloniale britannique. Les différents groupes ethniques aspiraient à l'indépendance. Pour contrer cette tendance, le bouddhisme a été renforcé en tant que religion nationale et déclaré élément central de l'identité nationale. Les adeptes d'autres religions étaient considérés comme antinationaux. L'armée s'en prenait régulièrement aux villages chrétiens et aux églises, et les chrétiens étaient victimes d'une discrimination systématique dans tous les domaines de la vie.
Les groupes ethniques tels que les Chin, les Kachin, les Kayah et les Karen, qui vivent principalement dans les régions montagneuses et ont des racines animistes, constituent la majorité des chrétiens. Ce sont des minorités ethniques qui ont adopté le christianisme et qui ont toujours été considérées par la majorité bouddhiste des tribus Bamar comme des adeptes d'une religion étrangère et inconnue.
Daisy Htun (nom d’emprunt, pour des raisons de sécurité), partenaire de Portes Ouvertes au Myanmar, explique que si les chrétiens sont en quelque sorte «acceptés» au Myanmar et que certaines églises sont reconnues par le gouvernement, le christianisme est toujours considéré comme une religion étrangère. Il existe encore des cas où les chrétiens n'obtiennent pas les droits et les autorisations nécessaires pour construire des églises, ou alors les procédures d'autorisation sont très longues, parfois plusieurs années, tandis que les bouddhistes peuvent construire des temples et fonder des institutions partout avec le soutien du gouvernement.
La guerre civile s'intensifie avec des violences ciblées contre les chrétiens
Depuis le coup d'État militaire de 2021, cette persécution a atteint des proportions terribles. La junte a déchaîné une violence brutale dans l'État de Chin, où plus de 90% de la population est chrétienne. Des villes entières ont été détruites et des milliers de personnes ont dû fuir. Plus de 70’000 personnes de l'État Chin ont cherché refuge en Inde, tandis que d'innombrables autres sont toujours déplacées. Plus de 4000 maisons et plus de 100 églises et lieux de culte ont été détruits. De nombreux dirigeants chrétiens ont été arrêtés, torturés, ont disparu ou ont été tués.
La violence est utilisée comme prétexte pour harceler les populations non bouddhistes. Dans la région de Sagaing, de nombreux villages chrétiens ont été bombardés et détruits par l'armée et des groupes bouddhistes radicaux, tandis que les villages des groupes bouddhistes ont été épargnés. La ville de Thantlang, dans l'État de Chin, a été détruite et incendiée par des soldats. Lorsque des groupes bouddhistes radicaux identifient quelqu'un comme étant un partisan du mouvement démocratique, cette personne est traitée comme un ennemi, sa maison est pillée et elle est constamment contrôlée et harcelée.
De nombreuses personnes ont dû quitter leur foyer et trouver refuge dans des camps de réfugiés de fortune. Daisy Htun rapporte: «Dans les camps de déplacés, les besoins fondamentaux tels que l'eau potable, les abris, les toilettes, la nourriture et les médicaments font défaut. Pour les personnes déplacées, les coûts de main-d'œuvre et les frais ne sont pas les mêmes que pour les habitants locaux. Elles reçoivent des salaires plus bas et sont souvent exploitées.»
«Dans l'État de Rakhaing et dans d'autres régions à majorité bouddhiste, l'aide gouvernementale et publique est distribuée par les moines bouddhistes dans les monastères. Les chrétiens reçoivent moins d'aide et de nourriture et sont souvent négligés et discriminés»
Daisy Htun
Elle poursuit: «Souvent, les camions transportant du matériel de secours pour les camps de déplacés ont été arrêtés. Les organisations humanitaires et leur personnel étranger ne sont pas autorisés à mener leurs programmes d'aide humanitaire. L'accès est limité et strictement contrôlé. Ce sont là quelques-uns des facteurs qui contribuent à la misère et à la détresse des habitants des camps de déplacés. Ils manquent de vêtements, de nourriture et de produits d'hygiène.»
Tremblement de terre et crise économique
Le violent séisme du 28 mars 2025, d'une magnitude de 7,7 et dont l'épicentre se trouvait au centre du Myanmar, a fait plus de 3000 victimes dans ce pays déchiré par la guerre civile. Il a provoqué de nouveaux mouvements de fuite, car de nombreuses maisons et infrastructures ont été détruites. Les ravages ont encore aggravé de manière dramatique les conditions de vie.
En raison de la guerre qui sévit depuis longtemps, les gens sont confrontés chaque jour à des problèmes tels que la hausse massive des prix et la pénurie alimentaire. Les chrétiens sont en outre soumis à des restrictions concernant les rassemblements dans les églises et à des restrictions de la liberté religieuse.
Les convertis au christianisme issus de groupes non chrétiens sont attaqués par leurs familles, leur communauté et des groupes religieux radicaux qui soutiennent l'armée. Les chrétiens, tels que les croyants issus de la tribu bouddhiste Bamar, sont persécutés par leurs familles et leurs communautés. Ainsi, leurs noms sont délibérément inscrits sur la liste du service militaire obligatoire par les chefs de village dès qu'ils se rendent compte que la personne appartient à une autre confession. Les chrétiens issus d'autres communautés religieuses, par exemple ceux d'origine musulmane, sont également persécutés par leurs familles, leurs communautés et les autorités locales.
Cas récents de violence à l'encontre des chrétiens
La répression militaire contre les chrétiens au Myanmar est souvent subtile et crée un climat de peur. Les Églises et leurs dirigeants sont soumis à une telle pression qu'ils ont peur de s'opposer au gouvernement. Selon l'Association des prisonniers politiques (Birmanie) (AAPP), depuis le coup d'État du 1er février 2021 jusqu'au 24 février 2025, 28’658 personnes ont été arrêtées par le gouvernement au total. Au moins 147 chrétiens sont actuellement détenus par le gouvernement, mais leur nombre est probablement plus élevé, car les données sont difficiles à obtenir et la plupart des cas ne sont pas signalés.
Le pasteur Hkalam Samson, de l'État de Kachin, a été arrêté et emprisonné pour s'être opposé à l'armée. Il a défendu la cause des chrétiens au Myanmar et s'est opposé à leur oppression par l'armée pendant le coup d'État. Il a été arrêté et emprisonné, puis libéré le 17 avril 2024, avant d'être à nouveau placé en détention le lendemain, le 18 avril 2024. Il est toujours en prison.
Le 17 février 2025, le prêtre catholique Donald Martin a été tué dans l'enceinte de l'église par un groupe d'agresseurs appartenant aux Forces de défense du peuple (PDF). De plus, le 18 mars 2025, un autre pasteur, Hkun Jaw Li, de l'Église baptiste de Kachin, a été assassiné par des hommes armés non identifiés.
Selon des chrétiens locaux, plus de 200 bâtiments chrétiens ont été attaqués, endommagés, détruits et bombardés depuis le coup d'État. En raison de la guerre, la junte militaire a pris pour cible les zones à forte influence chrétienne et a détruit et bombardé des églises.
Des églises et des bâtiments chrétiens ont été attaqués, endommagés, bombardés, pillés, détruits, incendiés, fermés ou confisqués dans la région de Sagaing, dans l'État Chin, dans l'État Shan, dans la région de Mandalay, dans l'État Kachin, dans la région de Yangon et dans la région de Magway.
Destruction des moyens de subsistance de la communauté chrétienne
Les bombardements et les attentats n'ont pas seulement un effet ponctuel. Ils ont détruit des maisons et des bâtiments, et l'accès aux infrastructures de base telles que les hôpitaux, les écoles, etc. est devenu très difficile, en particulier dans les zones habitées par des chrétiens. La vie est extrêmement difficile, car les sources de revenus sont très limitées, il n'y a pas d'infrastructures pour les services publics et le risque de nouveaux attentats à la bombe est constant. Les enfants n'ont pas accès à l'éducation et les malades sont privés de soins médicaux. Les communautés souffrent en silence et s'enfoncent de plus en plus dans la pauvreté.
Matt Lawrence, chef de projet au Center for Information and Resilience (CIR) Myanmar Witness, affirme que la destruction des églises dans l'État de Chin est «à la fois symbolique et physique» et déclare: «Nous avons constaté que le conflit au Myanmar a des répercussions durables et à long terme sur la population chrétienne de l'État de Chin. Ces lieux de culte sont non seulement protégés par le droit international en temps de conflit, mais ils ont également une signification sacrée pour les personnes qui les fréquentent.»
Les pasteurs Mung et Lim (noms d’emprunts) racontent: «Avant le coup d'État, notre village comptait plus de 100 membres et nous étions invités aux fêtes de famille. Mais à cause du conflit, nous avons dû fuir avec nos familles à moto, avec pour seuls biens les vêtements que nous portions.» Les pasteurs poursuivent: «Lorsque nous sommes chassés, nous avons même peur d'exprimer nos sentiments. Cela affecte notre esprit, notre corps et notre âme. Nous devons tout recommencer à zéro. Nos priorités sont la nourriture, le logement et notre survie.»
«Nous appelons le gouvernement du Myanmar à prendre immédiatement des mesures pour désamorcer le conflit dans l'État de Chin. À cette fin, la communauté internationale devrait encourager les deux parties au conflit à promouvoir des initiatives de paix dans le respect des droits des minorités», explique Philippe Fonjallaz, directeur de Portes Ouvertes Suisse. «La sécurité et l'aide humanitaire doivent être garanties pour tous, quelle que soit l’ethnie ou la religion, afin de permettre à la population survivre. Il est également urgent de mettre fin au conflit de manière durable et d’associer pleinement les chrétiens à la construction de l’avenir du pays.»